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Palimpseste
articles et lettres de lecteur
de François Brutsch

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L'origine et le contexte de la voie tracée par Bill Clinton et Tony Blair.  Article paru dans DP.
Gauche: la Troisième Voie, nouvelle Amérique?
22 janvier 2000
Après Moscou, Cuba, la Suède, la Chine, Prague, le Kampuchea, le Portugal ou le Burkina-Faso, la gauche finit le siècle en panne de pèlerinage. La Troisième Internationale n'existe plus, la Deuxième tend vers l'universalisme (de Yasser Arafat à Tony Blair en passant par les ex-communistes) comme la Conférence de Seattle de l'Organisation mondiale du commerce, en décembre 1999, l'a illustré: les socialistes étaient partout, du Directeur général (travailliste néo-zélandais) aux manifestants en passant par les chefs des délégations incarnant les divers camps.

Est-ce à dire que la gauche n'existe plus, n'a plus de message, a épuisé sa force propulsive et achevé sa mission historique? Le monde change, la société évolue mais les valeurs de liberté et de justice pour tous, elles, sont immuables.

C'est dans cet esprit bouleversé par le doute et la transformation qu'est apparu le débat sur la Troisième Voie que DP, expression depuis 1963 d'une gauche réformiste, souhaite présenter et développer pour la Suisse dans une série d'articles.

Après l'éclatante victoire des "nouveaux travaillistes" en mai 1997, on pouvait croire à une simple voie nationale originale. La déclaration Blair - Schröder de juin 1999 est venue témoigner d'une ambition plus large: renouveler la gauche, proposer un nouveau modèle en l'approfondissant pour commencer dans les deux pays. Malencontreuse erreur de calendrier: le retentissement du manifeste peaufiné par Peter Mandelson et Bodo Hombach a souffert du recul, la semaine suivante, du Labour et du SPD (pour des raisons conjoncturelles internes) à l'élection du Parlement européen à laquelle il n'était en réalité nullement lié.

Auparavant il y avait déjà eu un premier séminaire international à l'Université de New York en automne 1998 (initié lors d'une visite à Londres de Hillary Clinton en novembre 1997), réunissant théoriciens et acteurs de la Troisième Voie autour du couple Clinton et de Tony Blair. Le 25 avril 1999, c'était une table ronde à Washington rassemblant Bill et Hillary Clinton, Tony Blair, Gerhard Schröder, Wim Kok et Massimo d'Alema. Elle fut suivie de la Conférence de Florence les 20 et 21 novembre 1999 à laquelle participèrent également Antonio Guterres, premier ministre du Portugal, Fernando Cardoso, président du Brésil, et Lionel Jospin. Et la prochaine rencontre est annoncée ce printemps en Allemagne...

Si le spectre de la création d'une nouvelle Internationale rassemblant les partis de centre-gauche a disparu, on assiste bien néanmoins à l'émergence d'un véritable mouvement. Rien à voir avec la caricature selon laquelle les élus qui incarnent la Troisième Voie sont des opportunistes flottant au gré du vent et des sondages, s'ils ne sont pas simplement de droite. Un tel prosélytisme n'est pas non plus conforme à l'image d'un courant centriste, pragmatique et prudent: bien au contraire il s'agit d'un réformisme radical. Mais c'est un projet idéologique empirique (c'est juste si ça marche) et non dogmatique (c'est juste si c'est conforme à la doctrine). D'où l'importance donnée à l'expérimentation, à l'évaluation, à la comparaison, à la communication, et à l'expression d'une orientation générale plus que d'un programme complet et détaillé.

Tout commence en 1985 aux Etats-Unis: dans son acception actuelle (voir ci-dessous, Terminologie), la Troisième Voie a été inventée pour permettre aux démocrates de reconquérir le pouvoir en se distançant tant de la nouvelle droite (Ronald Reagan a été élu en 1980) que des "libéraux" (la gauche traditionnelle, étatiste et dépensière, dans le vocabulaire américain, qui dominait alors le parti): Reagan a été réélu en 1984 contre le démocrate libéral Walter Mondale.

A la manière anglo-saxonne, la politique s'organise de manière souple en marge des partis eux-mêmes, et en symbiose entre élus, praticiens de terrain et chercheurs. Fondé en 1985 sous le patronage d'une grande dame du parti démocrate, Pamela Harrimann (par la suite ambassadrice des Etats-Unis en France), le Democratic Leadership Council (DLC) qui a donné naissance au mouvement des Nouveaux Démocrates (c'est le nom de sa revue bimestrielle) a eu pour président un certain Bill Clinton, alors gouverneur de l'Arkansas. Son réservoir intellectuel est le Progressive Policy Institute (PPI), une émanation de la Progressive Foundation. Sur ces deux piliers, autour desquels gravite aujourd'hui la constellation des Nouveaux Démocrates à tous les échelons du pays, s'est construit le programme qui, après la victoire de Bush, successeur de Reagan, sur le libéral Dukakis en 1988, a permis à Bill Clinton d'être élu en 1992 et réélu en 1996.

Si à droite les liens étaient étroits entre Reagan et Thatcher (arrivée au pouvoir en 1979), les républicains apportant un soutien logistique à la dernière victoire électorale du parti conservateur britannique, l'aile moderniste du parti travailliste s'est elle aussi appuyée sur l'ami américain pour forger le New Labour. Il faut ici souligner les combats courageux, et nullement gagnés d'avance, engagés par Blair à l'intérieur du parti pour en renouveler la doctrine et en démocratiser le fonctionnement.

Documentation utile:

Revue Esprit, mars-avril 1999: Le pari de la réforme; Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès (présidée par Pierre Mauroy), No 13, août 1999: Blair - Schröder: Le texte du "manifeste" et des analyses critiques; diverses références sur l'Internet sont également présentées sur le site de DP.


Et la Suisse dans tout ça?

La Troisième Voie comme véhicule politique ne concerne guère la Suisse dans la mesure où son système électoral n'est pas fondé, comme les régimes parlementaires ou même les régimes présidentiels à l'américaine ou à la française, sur la conquête du pouvoir, l'alternance de majorité et de minorité. "Ni Thatcher, ni Blair": ses institutions mettent la Suisse à l'abri de toute révolution. Le jeu consiste à faire évoluer le consensus général, il n'y a ici que des minorités qui composent comme elles le peuvent sous le contrôle permanent de la démocratie directe. C'est donc plutôt au niveau des individus, de projets spécifiques que l'on pourra trouver une certaine résonance avec les préoccupations portées par la Troisième Voie: la modernisation du service public de Moritz Leuenberger, la renaissance urbaine communautaire (Werkstadt Basel) de Barbara Schneider, la gestion autonomisée des centres sociaux de quartier de Verena Diener à Zurich, par exemple.

L'impossibilité d'identifier véritablement une Troisième Voie en Suisse est aussi hélas ce qui permet de l'agiter dans le débat local comme un chiffon rouge provocateur, pour la louer ou la flétrir sans grand rapport avec la réalité, de David de Pury à Jean-Claude Rennwald.


Terminologie

Aujourd'hui la Troisième Voie désigne une démarche de renouvellement idéologique de la gauche face à la droite néo-libérale, d'une part, et à la gauche traditionnelle, d'autre part.

Mais l'expression a dans le passé été accommodée à de multiples sauces:

-- la tentative centriste d'échapper au clivage gauche droite (l'économie sociale de marché en Allemagne, l'introuvable troisième voie dans le débat politique français sous la IVe et la Ve République);

-- la recherche d'un système économique qui dépasse l'antagonisme entre planification étatique et marché (l'économiste du Printemps de Prague Ota Sik en 1968);

-- dans une certaine gauche française des années 60, la prétendue convergence entre un capitalisme apprivoisé et un "socialisme" (des pays de l'est) humanisé.

 

 


Dernière mise à jour: 24/02/01
François Brutsch - Genève - Suisse