Rien n'obligeait Le Nouvelliste
à publier une annonce homophobe. Mais fallait-il vraiment que le site de RomanDit soit
fermé par son hébergeur? C'est
l'arroseur arrosé: désormais la polémique ne porte plus guère sur la Gay Pride du 7
juillet prochain à Sion mais sur l'annonce outrancière publiée par le quotidien local Le Nouvelliste à
l'initiative de l'association RomanDit (extrême droite chrétienne). Elle a
involontairement provoqué une prise de conscience assez générale, en Valais et
ailleurs, sur les dangers de l'intolérance. Les animatrices et animateurs des mouvements
de défense des gays et des lesbiennes, ou plus généralement des droits de la personne,
peuvent s'en réjouir, soulagés; et c'est à juste titre qu'ils ont préféré une
riposte politique et médiatique à une aléatoire démarche juridique contre RomanDit ou
l'éditeur du journal.
Dans ce cadre, la fermeture (forcément provisoire, le
temps de trouver un nouvel hébergeur) du site Internet romandit.ch a été applaudie un peu comme, à Guignol, le retour du
bâton. Mais les conditions dans lesquelles elle est intervenue devraient inquiéter
celles et ceux qui sont attachés à la liberté d'expression (et qui savent qu'il n'y a
pas que l'Etat qui est susceptible de la menacer).
C'est l'opérateur chez qui le site était hébergé qui
a unilatéralement retiré la prise, en quelque sorte. Il avait été interpellé
vigoureusement par un gay d'Avignon, raconte le site gayromandie.ch qui pour sa part souligne bien le danger
d'empêcher RomanDit de s'exprimer ouvertement. On se met à la place de l'hébergeur: sa
profession de foi vertueusement indignée faisant le lien avec des sites xénophobes ou
pornographiques lui évite aussi une campagne de mailings et une détérioration de son
image de marque.
On a envie de dire: bravo les militants d'avoir su
frapper au bon endroit. Comme utilisateur de l'Internet, on est plus perplexe: ainsi votre
site peut être fermé d'une minute à l'autre, par simple caprice de l'hébergeur?
Transposez cela au bail pour d'hypothétiques locaux de RomanDit, voire à son
approvisionnement en électricité... Imaginez surtout que ce qui arrive à cette
association peut arriver demain à un site outrancièrement anticlérical, par exemple,
voire à un site gay. La liberté d'expression est celle de consommer, mais aussi de
produire des points de vue par définition odieux pour la majorité, qu'elle soit
silencieuse ou politiquement correcte.
On dira: cela concerne le contrat entre RomanDit et son
hébergeur, et il y en a bien d'autres sur le marché. En réalité, même s'il y a
violation du contrat, la procédure à mener pour la sanctionner (lourde) et la
réparation potentielle (insignifiante) ne sont guère appropriées. Et la plupart des
hébergeurs se couvrent, dans leurs conditions générales, par des clauses
discrétionnaires rédigées en termes vagues.
Un bistrot n'a pas le droit de refuser de servir des
clients pour des raisons discriminatoires. Pour l'Internet comme pour la télévision par
câble (on se souvient de cet opérateur alémanique qui avait retiré la BBC de son offre
en représailles à l'émission "La Suisse et l'or des nazis"), on peut se
demander si, dans la vision européenne du service public, il ne devient pas nécessaire
de mieux garantir l'exercice effectif des libertés dans l'utilisation des moyens modernes
de communications.
L'alternative, c'est d'accepter joyeusement le conflit
que notre société anesthésiée tend à évacuer. Vivent les pressions et autres
boycotts, et que les minorités sachent se donner les moyens vigoureux d'exister; dans le
temps c'était la Maison du peuple, aujourd'hui ce serait un serveur propre pour les
libertaires de gauche ou, bien sûr, l'extrême droite chrétienne. Une société à
l'américaine, en somme... |