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Palimpseste
articles et lettres de lecteur
de François Brutsch

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A propos de la fermeture d'un site homophobe.  Article paru dans DP.
Liberté d'expression: l'Internet et le politiquement correct
23 mars 2001
Rien n'obligeait Le Nouvelliste à publier une annonce homophobe. Mais fallait-il vraiment que le site de RomanDit soit fermé par son hébergeur?

C'est l'arroseur arrosé: désormais la polémique ne porte plus guère sur la Gay Pride du 7 juillet prochain à Sion mais sur l'annonce outrancière publiée par le quotidien local Le Nouvelliste à l'initiative de l'association RomanDit (extrême droite chrétienne). Elle a involontairement provoqué une prise de conscience assez générale, en Valais et ailleurs, sur les dangers de l'intolérance. Les animatrices et animateurs des mouvements de défense des gays et des lesbiennes, ou plus généralement des droits de la personne, peuvent s'en réjouir, soulagés; et c'est à juste titre qu'ils ont préféré une riposte politique et médiatique à une aléatoire démarche juridique contre RomanDit ou l'éditeur du journal.

Dans ce cadre, la fermeture (forcément provisoire, le temps de trouver un nouvel hébergeur) du site Internet romandit.ch a été applaudie un peu comme, à Guignol, le retour du bâton. Mais les conditions dans lesquelles elle est intervenue devraient inquiéter celles et ceux qui sont attachés à la liberté d'expression (et qui savent qu'il n'y a pas que l'Etat qui est susceptible de la menacer).

C'est l'opérateur chez qui le site était hébergé qui a unilatéralement retiré la prise, en quelque sorte. Il avait été interpellé vigoureusement par un gay d'Avignon, raconte le site gayromandie.ch – qui pour sa part souligne bien le danger d'empêcher RomanDit de s'exprimer ouvertement. On se met à la place de l'hébergeur: sa profession de foi vertueusement indignée faisant le lien avec des sites xénophobes ou pornographiques lui évite aussi une campagne de mailings et une détérioration de son image de marque.

On a envie de dire: bravo les militants d'avoir su frapper au bon endroit. Comme utilisateur de l'Internet, on est plus perplexe: ainsi votre site peut être fermé d'une minute à l'autre, par simple caprice de l'hébergeur? Transposez cela au bail pour d'hypothétiques locaux de RomanDit, voire à son approvisionnement en électricité... Imaginez surtout que ce qui arrive à cette association peut arriver demain à un site outrancièrement anticlérical, par exemple, voire à un site gay. La liberté d'expression est celle de consommer, mais aussi de produire des points de vue par définition odieux pour la majorité, qu'elle soit silencieuse ou politiquement correcte.

On dira: cela concerne le contrat entre RomanDit et son hébergeur, et il y en a bien d'autres sur le marché. En réalité, même s'il y a violation du contrat, la procédure à mener pour la sanctionner (lourde) et la réparation potentielle (insignifiante) ne sont guère appropriées. Et la plupart des hébergeurs se couvrent, dans leurs conditions générales, par des clauses discrétionnaires rédigées en termes vagues.

Un bistrot n'a pas le droit de refuser de servir des clients pour des raisons discriminatoires. Pour l'Internet comme pour la télévision par câble (on se souvient de cet opérateur alémanique qui avait retiré la BBC de son offre en représailles à l'émission "La Suisse et l'or des nazis"), on peut se demander si, dans la vision européenne du service public, il ne devient pas nécessaire de mieux garantir l'exercice effectif des libertés dans l'utilisation des moyens modernes de communications.

L'alternative, c'est d'accepter joyeusement le conflit que notre société anesthésiée tend à évacuer. Vivent les pressions et autres boycotts, et que les minorités sachent se donner les moyens vigoureux d'exister; dans le temps c'était la Maison du peuple, aujourd'hui ce serait un serveur propre pour les libertaires de gauche ou, bien sûr, l'extrême droite chrétienne. Une société à l'américaine, en somme...

 

 


Dernière mise à jour: 23/03/01
François Brutsch - Genève - Suisse