Annoncé
à la veille de la Gay Pride, le futur statut suisse
des couples de même sexe reflète la modernité
et la Gründlichkeit de la Suisse d'aujourd'hui.
Quel
chemin parcouru depuis que le Danemark, le tout premier,
offrait un statut de partenariat enregistré à
celles et ceux à qui le mariage n'est pas ouvert
pour organiser et faire reconnaître leur vie de couple:
les lesbiennes et les gays (Gay, gay, marions-nous,
DP No 863 du 3.8.1989). En Suisse, la première démarche
politique est une question posée au Conseil fédéral
par le conseiller aux Etats radical genevois Gilles Petitpierre,
par ailleurs professeur de droit civil, en 1994. La même
année, un comité "Les mêmes
droits pour les couples de même sexe" lance
la pétition du même nom, appuyée par
des personnalités dont le soutien a été
alors laborieusement sollicité. Elle est, déjà,
aussi bien accueillie que possible et déposée
le 18 décembre 1994 avec plus de 85'000 signatures.
En 1996, le Conseil national la relaie au Conseil fédéral
par un postulat adopté au vote nominal (68 voix contre
61).
Le
1er mai 1999, Ruth Metzler-Arnold succède à
Arnold Koller. Dès le mois suivant elle sort du tiroir,
et met en consultation, le rapport très complet préparé
par ses services: la situation des personnes homosexuelles
en droit suisse, les solutions apportées à
l'étranger et cinq variantes, pas moins, proposées
à la réflexion des milieux intéressés.
Le Conseil fédéral prend acte du résultat
de cette première consultation en octobre 2000 et
charge le département fédéral de justice
et police de préparer un avant-projet de loi fédérale
sur le partenariat enregistré. Celui-ci est mis en
consultation en novembre 2001. Et c'est à la veille
de la Gay Pride (de Zurich samedi passé et de Neuchâtel
le 13 juillet) que Ruth Metzler peut annoncer la décision
du Conseil fédéral de déposer un projet
aux Chambres fédérales d'ici la fin de l'année.
Ce
qui frappe, c'est l'ampleur du consensus autour de la légitimité
de la revendication des gays et des lesbiennes, de l'importance
qu'il y a à mettre fin à une discrimination,
à favoriser l'épanouissement individuel de
toutes et tous, quelle que soit leur orientation sexuelle.
Si l'on excepte quelques enjeux symboliques parfois byzantins
(un chapitre du code civil ou une loi spéciale?)
et des questions de détail, le dernier point d'accrochage
sérieux porte sur l'adoption d'enfants, que le projet
de loi entend interdire expressément aux partenaires
(que ce soit ensemble ou pour que l'un-e des partenaires
puisse adopter l'enfant biologique de l'autre). Pourquoi
ne pas laisser cette question à la sagesse des autorités
compétentes, à même de juger de cas
en cas? Car l'intérêt de l'enfant est toujours
une question individuelle: il y aussi des hétéros
qui font de mauvais parents... Il y a certes aussi dans
cette disposition un calcul politique pour rassurer, sachant
que cette loi fédérale, une fois approuvée
par les Chambres, ne manquera pas de faire l'objet d'un
référendum. Et il faut rappeler aux jusqu'auboutistes
que la loi danoise, en 1989, était similaire.
Telle
quelle, la future loi suisse se présente bien comme
une incarnation solide, ouverte et pragmatique du modèle
européen standard du partenariat enregistré.
Elle s'affranchit sans effort de l'hypocrisie du PACS français,
qui cache derrière les concubins un statut au rabais
pour les couples de même sexe. Elle ne se croit pas
obligée de rejoindre les Pays-Bas dans la permissivité
à choix multiple: mariage, partenariat ou union libre,
que ce soit pour les homos ou les hétéros.
Elle est en somme à l'image d'une Suisse moderne,
en paix avec elle-même, telle qu'on peut la voir sur
les Arteplages. Pourvu que ça dure...
Le
maigre front du refus
Le
succès de la Pride de Sion, l'an dernier, et l'accueil
sympathique que les Valaisannes et les Valaisans lui ont
réservé, n'ont pas ébranlé le
gouvernement cantonal: il se retrouve seul des 26 cantons
à être comptabilisé parmi les opposants
dans l'analyse de la consultation. Curieusement, le canton
de Vaud n'est pas loin (c'était encore le précédent
gouvernement), considérant avec Schwyz et la Thurgovie
qu'on en fait un peu trop...
Parmi
les partis gouvernementaux, seule l'UDC est opposée
au projet. Socialistes et radicaux, eux, font assaut de
progressisme pour combattre la discrimination en matière
d'adoption comme pour souhaiter que l'institution civile
du mariage elle-même ne soit plus réservée
aux seuls couples formés d'un homme et d'une femme.
Même la Conférence des évêques
suisses ne parvient pas à se faire enregistrer comme
opposante, laissant cela aux groupuscules fondamentalistes
qui s'apprêtent déjà à lancer,
le moment venu, le référendum.
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