Imagine-t-on
Christoph Blocher interpeller Ruth Dreifuss sur le sort
d'une patiente âgée aux urgences d'un hôpital
zurichois? Le leader de l'opposition britannique a, lui,
brandi un cas douloureux dans sa circonscription pour flétrir
le bilan du gouvernement Blair en matière de santé.
Le
NHS (National Health Service) fait l'orgueil des Britanniques:
personne (pas même Mme Thatcher à son apogée)
ne remet vraiment en cause cette organisation étatique,
centralisée et gratuite, c'est-à-dire entièrement
payée par l'impôt, des soins ambulatoires et
hospitaliers. Mais pas vraiment leur fierté, tant
les listes d'attentes pour les interventions chirurgicales
les plus courantes (cataracte ou hanche artificielle) ou
le cadre dégradé de nombre d'établissements
sont proverbiaux. Non que le résultat soit mauvais:
la santé de la population est bonne, les (vraies)
urgences sont traitées, la médecine de pointe
est excellente; et tout cela en y consacrant une part nettement
moindre du revenu national que les pays comparables, comme
la Suisse ou la France. uvre de l'après-seconde
guerre mondiale (comme l'AVS en Suisse), le système
est manifestement inadapté à répondre
aux attentes d'une société désormais
individualiste et consumériste, dont les besoins
de base sont pourvus; l'émergence d'un secteur privé
et d'assurances complémentaires consacrent en fin
de compte la réalité d'un régime à
deux vitesses.
On
n'imagine pas non plus Ruth Dreifuss répliquer en
orchestrant une campagne de dénigrement de la patiente
et de sa famille (pourtant bons électeurs travaillistes),
et soutenir que toute plainte est une attaque contre le
personnel du NHS qui ne peut que contribuer à la
dégradation des soins
En l'occurrence, tant
le pouvoir que l'opposition ont crûment illustré
l'instrumentalisation d'un cas à des fins politiciennes.
La réaction du gouvernement Blair témoigne
aussi d'une attitude défensive et crispée
qui contraste avec les ambitions de la Troisième
Voie à son arrivée en 1997. Si l'on se vantait
alors de "penser l'impensable", on en est revenu
aujourd'hui à croire qu'il suffira d'augmenter les
crédits destinés à la santé.
Mais
où, comment? Outre l'avantage comparatif indéniable
de la petite taille du pays, le fédéralisme
d'une part et une organisation fondée sur une pluralité
d'acteurs, publics et privés, d'autre part, préservent
le Conseil fédéral d'avoir à répondre
à ce genre de dilemme. Il en a d'autres, et il n'est
pas certains que les patients suisses sont plus heureux
de se plaindre de leur cotisation d'assurance maladie que
d'avoir passé trois jours dans un couloir sans que
l'on change leurs habits ensanglantés.
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