Après
des fondamentalistes chrétiens dans Le
Nouvelliste, des psys dans Médecine
& Hygiène! Tant la revue que le quotidien
ont certes tenu à se distancer de ces dérapages
par la suite. Mais à qui le tour, l'homophobie va-t-elle
(re)devenir à la mode?
On
l'oubliait presque, pour celles et ceux dont l'homosexualité
n'est qu'une des différentes facettes de leur vie
personnelle et sociale, pour eux-mêmes comme pour
leurs proches -- celles et ceux qui sont "out",
sortis du placard dans lequel d'autres se cachent encore
de peur de s'assumer: l'homophobie existe. Elle n'est pas
belle à voir, elle est pénible, effrayante
voire dangereuse à subir. Celle que l'on redoute
le plus, c'est celle du quotidien: l'injure, le quolibet,
le rejet, le harcèlement, les coups voire la mort.
Comme la lumière chasse l'ombre, c'est par la visibilité
de notre présence, l'ordinaire singulier de nos vies
(dont la Gay Pride est l'envers ritualisé) que nous
pouvons le mieux l'éviter. Et c'est bien là
l'acquis, dans les sociétés occidentales tout
au moins, de 30 ans de mouvement pour l'émancipation
des gays et des lesbiennes.
Forme
de violence née, comme souvent, de la peur de ce
qui est différent, de ce que l'on ne comprend pas,
la haine des gays et des lesbiennes a longtemps trouvés
une justification théorique dans la religion. C'est
elle qu'aujourd'hui encore invoquent les milieux fondamentalistes
tels que RomanDit
ou l'Union démocratique fédérale pour
nous combattre et nous diaboliser. Sécularisation
oblige, la psychiatrie a pris le relais avant elle-même
d'évoluer. Se donnant des airs de David contre Goliath,
de village d'Astérix contre les Romains, tout en
prétendant paradoxalement parler au nom de la grande
majorité, les extrémistes religieux ou psychanalytiques
se réfugient aujourd'hui dans le discours. Reste
à savoir s'il s'agit du dernier soubresaut de la
bête immonde ou du signe annonciateur d'un changement
de climat, d'un retour du balancier après une trop
brève et trop lacunaire période de tolérance?
Deux
éléments contradictoires à cet égard.
D'une part la publication dans un numéro de la prestigieuse
revue Médecine
& Hygiène de deux articles violemment
homophobes a fait scandale précisément pour
cette raison à travers les autres médias;
plutôt réconfortant. D'un autre côté
la Tribune
de Genève, qui n'avait pas été
la dernière à ironiser sur les théories
abracadabrantes du Dr Nicolaïdis et le "sexoterrorisme"
dénoncé par le Dr Hurni, a pensé légitime
de publier dans sa page "Opinions" un article
de la même veine 15 jours plus tard (L'Invité,
28.04.01); inquiétant? De même que les gays
et les lesbiennes ont longtemps pu compter sur l'intérêt
des médias en raison même de leur caractère
minoritaire, en butte à des discriminations, la recherche
constante de ce qui est différent, inattendu, surprenant
peut fort bien demain rendre telle forme de révisionnisme
fashionable.
Restent
les faits, qui Dieu merci sont têtus: le Dr Nicolaïdis
peut bien tenter de lier en une même formule homosexualité
et pédophilie, la grande majorité des actes
pédophiles sont hétérosexuels (et,
comme disait l'autre, 100% des incestes sont commis dans
le cadre familial); il peut bien insinuer que nombre de
crimes inexpliqués seraient le fait d'homosexuels,
l'inverse est plus vraisemblable: ce sont des crimes homophobes
qui, par inconscience (car il faut encore savoir et prendre
en considération le fait que la victime est homosexuelle!)
ou par indifférence restent impunis; et si l'homosexualité
était transmissible par le seul exemple exhibé,
martelé, imposé sans cesse, la question serait
résolue depuis longtemps: nous serions toutes et
tous hétéros!
Le
plus déconcertant dans le discours homophobe est
peut-être la composante nataliste: tout en prétendant
lutter contre de prétendus bas instincts, il ramène
de fait l'être humain à un rôle purement
copulatoire (digne d'une LoftStory qui ne manque pas de
révulser les mêmes esprits) pour reprocher
aux gays et aux lesbiennes d'échapper au devoir,
comment dire, génital, conjugal? Ils veulent nous
condamner à une vie de dissimulation, de mariage
sans amour et de parenté forcée pour la perpétuation
de l'espèce, et dans le même mouvement s'indignent
que des lesbiennes ou des gays soient parents, l'acceptent
voire le veulent!
Est-ce
par un coup d'Etat médiatique que le mouvement homosexuel
est parvenu à faire accepter notre réalité?
On pouvait croire que la manie de la persécution
et l'obsession de voir des complots partout était
l'un des indices d'un dérangement psychique... Celles
et ceux qui sont convaincus que la décision des psychiatres
américains de rayer l'homosexualité de la
liste des maladies n'a été que soumission
au joug totalitaire du politiquement correct doivent être
atterrés des ravages de notre toute puissance: même
la Chine populaire (on a les remparts de la vertu qu'on
peut) vient de céder! En d'autres temps, nul doute
que nos bons docteurs auraient été de ces
théologiens qui se demandaient gravement si la femme
avait une âme s'indignant à n'en pas
douter de la veule démagogie qui a conduit à
lui en reconnaître une.
On
peut en rire, et c'est un réconfort parfois nécessaire.
Cela ne doit cependant pas exclure la vigilance. Comme l'antisémitisme,
le racisme, la xénophobie, l'homophobie est un mal
sournois qui toujours réapparaît, jamais définitivement
vaincu. A l'heure du danger, c'est pas la simple affirmation
sereine de notre existence, de notre droit égal à
la poursuite du bonheur, de notre valeur intrinsèque
d'hommes et de femmes aussi semblables et aussi différents
que les autres, que nous pourrons dissiper les peurs. Et
c'est avec nos parents, nos proches, nos amis et nos amies,
nos collègues, qui nous connaîtront pour ce
que nous sommes et nous acceptent ainsi, que le discours
passéiste pseudo-savant sera reconnu non comme la
dernière impertinence à la mode mais bien
comme une baudruche à crever joyeusement un
jour de fête!
|