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Palimpseste
articles et lettres de lecteur
de François Brutsch

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Passée l'exhubérance des Gay Pride, c'est la visibilité au quotidien qui est la meilleure protection du droit des gays et des lesbiennes à la poursuite du bonheur. Article paru dans Dialogai Info.
Médias: quand l'homophobie se veut savante
23 juin 2001

Après des fondamentalistes chrétiens dans Le Nouvelliste, des psys dans Médecine & Hygiène! Tant la revue que le quotidien ont certes tenu à se distancer de ces dérapages par la suite. Mais à qui le tour, l'homophobie va-t-elle (re)devenir à la mode?

On l'oubliait presque, pour celles et ceux dont l'homosexualité n'est qu'une des différentes facettes de leur vie personnelle et sociale, pour eux-mêmes comme pour leurs proches -- celles et ceux qui sont "out", sortis du placard dans lequel d'autres se cachent encore de peur de s'assumer: l'homophobie existe. Elle n'est pas belle à voir, elle est pénible, effrayante voire dangereuse à subir. Celle que l'on redoute le plus, c'est celle du quotidien: l'injure, le quolibet, le rejet, le harcèlement, les coups voire la mort. Comme la lumière chasse l'ombre, c'est par la visibilité de notre présence, l'ordinaire singulier de nos vies (dont la Gay Pride est l'envers ritualisé) que nous pouvons le mieux l'éviter. Et c'est bien là l'acquis, dans les sociétés occidentales tout au moins, de 30 ans de mouvement pour l'émancipation des gays et des lesbiennes.

Forme de violence née, comme souvent, de la peur de ce qui est différent, de ce que l'on ne comprend pas, la haine des gays et des lesbiennes a longtemps trouvés une justification théorique dans la religion. C'est elle qu'aujourd'hui encore invoquent les milieux fondamentalistes tels que RomanDit ou l'Union démocratique fédérale pour nous combattre et nous diaboliser. Sécularisation oblige, la psychiatrie a pris le relais avant elle-même d'évoluer. Se donnant des airs de David contre Goliath, de village d'Astérix contre les Romains, tout en prétendant paradoxalement parler au nom de la grande majorité, les extrémistes religieux ou psychanalytiques se réfugient aujourd'hui dans le discours. Reste à savoir s'il s'agit du dernier soubresaut de la bête immonde ou du signe annonciateur d'un changement de climat, d'un retour du balancier après une trop brève et trop lacunaire période de tolérance?

Deux éléments contradictoires à cet égard. D'une part la publication dans un numéro de la prestigieuse revue Médecine & Hygiène de deux articles violemment homophobes a fait scandale précisément pour cette raison à travers les autres médias; plutôt réconfortant. D'un autre côté la Tribune de Genève, qui n'avait pas été la dernière à ironiser sur les théories abracadabrantes du Dr Nicolaïdis et le "sexoterrorisme" dénoncé par le Dr Hurni, a pensé légitime de publier dans sa page "Opinions" un article de la même veine 15 jours plus tard (L'Invité, 28.04.01); inquiétant? De même que les gays et les lesbiennes ont longtemps pu compter sur l'intérêt des médias en raison même de leur caractère minoritaire, en butte à des discriminations, la recherche constante de ce qui est différent, inattendu, surprenant peut fort bien demain rendre telle forme de révisionnisme fashionable.

Restent les faits, qui Dieu merci sont têtus: le Dr Nicolaïdis peut bien tenter de lier en une même formule homosexualité et pédophilie, la grande majorité des actes pédophiles sont hétérosexuels (et, comme disait l'autre, 100% des incestes sont commis dans le cadre familial); il peut bien insinuer que nombre de crimes inexpliqués seraient le fait d'homosexuels, l'inverse est plus vraisemblable: ce sont des crimes homophobes qui, par inconscience (car il faut encore savoir et prendre en considération le fait que la victime est homosexuelle!) ou par indifférence restent impunis; et si l'homosexualité était transmissible par le seul exemple exhibé, martelé, imposé sans cesse, la question serait résolue depuis longtemps: nous serions toutes et tous hétéros!

Le plus déconcertant dans le discours homophobe est peut-être la composante nataliste: tout en prétendant lutter contre de prétendus bas instincts, il ramène de fait l'être humain à un rôle purement copulatoire (digne d'une LoftStory qui ne manque pas de révulser les mêmes esprits) pour reprocher aux gays et aux lesbiennes d'échapper au devoir, comment dire, génital, conjugal? Ils veulent nous condamner à une vie de dissimulation, de mariage sans amour et de parenté forcée pour la perpétuation de l'espèce, et dans le même mouvement s'indignent que des lesbiennes ou des gays soient parents, l'acceptent voire le veulent!

Est-ce par un coup d'Etat médiatique que le mouvement homosexuel est parvenu à faire accepter notre réalité? On pouvait croire que la manie de la persécution et l'obsession de voir des complots partout était l'un des indices d'un dérangement psychique... Celles et ceux qui sont convaincus que la décision des psychiatres américains de rayer l'homosexualité de la liste des maladies n'a été que soumission au joug totalitaire du politiquement correct doivent être atterrés des ravages de notre toute puissance: même la Chine populaire (on a les remparts de la vertu qu'on peut) vient de céder! En d'autres temps, nul doute que nos bons docteurs auraient été de ces théologiens qui se demandaient gravement si la femme avait une âme – s'indignant à n'en pas douter de la veule démagogie qui a conduit à lui en reconnaître une.

On peut en rire, et c'est un réconfort parfois nécessaire. Cela ne doit cependant pas exclure la vigilance. Comme l'antisémitisme, le racisme, la xénophobie, l'homophobie est un mal sournois qui toujours réapparaît, jamais définitivement vaincu. A l'heure du danger, c'est pas la simple affirmation sereine de notre existence, de notre droit égal à la poursuite du bonheur, de notre valeur intrinsèque d'hommes et de femmes aussi semblables et aussi différents que les autres, que nous pourrons dissiper les peurs. Et c'est avec nos parents, nos proches, nos amis et nos amies, nos collègues, qui nous connaîtront pour ce que nous sommes et nous acceptent ainsi, que le discours passéiste pseudo-savant sera reconnu non comme la dernière impertinence à la mode mais bien comme une baudruche – à crever joyeusement un jour de fête!

 

 


Dernière mise à jour: 10.01.2002
François Brutsch - Genève - Suisse