Dans
la maison Suisse, entre le rez-de-chaussée des cantons
et l'étage fédéral, il existe un entresol
intercantonal où s'amoncelle un véritable bric-à-brac.
Deux adjonctions récentes viennent alourdir l'édifice.
Dans
l'esprit des pères fondateurs, les concordats devaient
permettre à un groupe de cantons de régler
de manière régionale un objet de leur compétence:
un lac dont ils sont riverains, un pénitencier commun.
Une
première perversion du système est apparue
avec l'OICM, l'Office intercantonal de contrôle des
médicaments. On constate le besoin d'une réglementation
unifiée dans toute la Suisse pour homologuer les
médicaments. Mais plutôt que d'en tirer la
conclusion logique -- transférer la compétence
en la matière des cantons vers la Confédération
-- on établit une institution hors-sol par un concordat
liant tous les cantons. Un pas de plus dans cette direction
est d'ailleurs apparu récemment: c'est la Confédération
elle-même qui, à propos des Universités,
établit un concordat auquel elle entend voir les
cantons adhérer.
Revitaliser
les entités fédérées
De
la manifestation d'une saine collaboration entre voisins
complétant la claire répartition des tâches
entre les cantons et la Confédération, on
est subrepticement passé à un affaiblissement
du fédéralisme: une technostructure sans la
légitimité que procurent des organes élus
au suffrage direct et les droits populaires se substitue
à des cantons défaillants et à une
Confédération qui ne peut ou ne veut assumer
de nouveaux rôles. Cette réflexion est au coeur
du projet qui vise à revitaliser les entités
fédérées en substituant des régions
plus grandes et moins nombreuses aux cantons (initiatives
Vaud-Genève, notamment). Il existe une autre approche,
défendue par André Gavillet dans un numéro
spécial de DP, Du
concordat au traité (no 1386 du 14 mai 1999).
Dans l'intervalle, les extensions récentes du phénomène
intercantonal ne sont guère encourageantes.
Des
lois sans Parlement
L'Accord
intercantonal sur l'élimination des entraves techniques
au commerce est un concordat en cours de ratification dans
les cantons. C'est un élément de l'ouverture
récente de la Suisse intérieure à l'économie
de marché (!) avec ce que cela suppose de transparence
et de libre échange.
L'Accord
est un enfant de la Conférence des gouvernements
cantonaux (en elle-même une monstruosité juridico-politique);
celle-ci se félicite d'être parvenue à
empêcher la Confédération d'unifier
elle-même le marché intérieur, prétendant
préserver la compétence des cantons... en
la confiant à une autorité intercantonale.
Par rapport à l'OICM, la nouveauté est que
l'on passe de l'administration au rang législatif:
l'Accord incorpore pour le futur dans la législation
cantonale, en remplacement de ce qui pourra s'y trouver,
toutes les normes que l'autorité intercantonale adoptera
- sans procédure parlementaire, sans référendum
possible: l'organe de décision est formé d'un
conseiller d'Etat par canton, chaque canton dispose d'une
voix et les décisions sont prises à la majorité
qualifiée de dix-huit voix. Si l'on ajoute que le
partage des frais se fera en proportion de la population,
sans considération d'autres critères tels
que la capacité financière, on se dit que
cette construction est bien fruste.
La
loi intercantonale à options
Sous
l'impulsion d'un Office fédéral imaginatif,
une autre Conférence, celle des directeurs cantonaux
de l'énergie, propose, elle, un modèle original:
la législation unifiée. On avait connu les
lois modèles (qui sont à la législation
ce que les manuels Weka sont à la correspondance
commerciale), voici la loi intercantonale à options:
un module est obligatoire pour tous les cantons (il s'agit
d'unifier les modalités d'application de la législation
fédérale sur l'énergie, mais aussi
de la compétence cantonale en matière de constructions
qui demeure); d'autres modules sont à prendre ou
à laisser, mais les cantons sont priés de
renoncer à des particularismes qui n'ont, pratiquement
et économiquement, guère de sens. Belle construction
technocratique, mais on ne se fera pas d'illusion sur la
capacité de ce Modèle de prescriptions énergétiques
cantonales (MoPEC) à devenir réalité
à travers la moulinette des vingt-six parlements
cantonaux.
En
attendant, dans un fédéralisme qui se fossilise
au lieu de se renouveler, tant la Confédération
que les cantons s'éloignent des lieux où la
société fait sa vie.
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