Ce
que l'on peut souhaiter de mieux au canton de Genève,
c'est que l'Alternative perde la majorité au Grand
Conseil sans que l'Entente ne l'obtienne tout en
ne faisant pas une trop grande place au nouveau parti qui
s'annonce: la section genevoise de l'UDC de Christoph Blocher.
Superficiellement,
la situation de Genève n'est pas mauvaise: le retournement
conjoncturel (du moins avant l'actualité immédiate)
paraît avoir suffi à effacer l'impératif
de rétablir les finances publiques. En réalité,
ni sur le plan économique, ni sur le plan politico-administratif,
le canton du bout du lac n'a fait le moindre progrès:
cela lui vaut aujourd'hui d'affronter dans l'urgence une
crise du logement née d'une amélioration de
l'emploi qui ne doit guère aux conditions locales.
Un symbole: comme la précédente, toute la
législature a été occupée à
débattre d'un plan directeur de l'aménagement
du territoire destiné à rester lettre morte
s'il prétend à autre chose qu'à flotter
sur l'air du temps.
Pendant
plus de 30 ans, la composition politique du canton fut marquée
par un gouvernement au sein duquel deux socialistes et cinq
conseillers d'Etat du centre et de la droite coexistaient
en relative harmonie, entre eux et avec un Grand Conseil
dont la gauche, bien que minoritaire, n'était pas
dans l'opposition. La rupture est intervenue il y a 8 ans,
par la coïncidence d'une évolution sociologique
de la droite libérale, désormais plus férue
de reaganisme thatchérien mal dégrossi que
d'humanisme et de culture politique suisse, et d'une implosion
de la gauche provoquée par la volonté de Christian
Grobet de se maintenir au Conseil d'Etat à tout prix.
Il en est résulté l'élection d'un gouvernement
monocolore de droite. Surprise de sa propre audace, sans
véritable programme, la majorité de 56 députés
sur 100 n'osa ou ne sut s'affirmer tandis que la minorité
se mua en opposition résolue. Une législature
perdue.
Aux
élections suivantes, les partis bourgeois n'avaient
plus que quatre conseillers d'Etat (dont un radical étatiste
et social qu'on peut difficilement assimiler à la
droite, Guy-Olivier Segond) sur sept. Et, au Grand Conseil,
l'Alternative (à laquelle les Verts sont désormais
solidement arrimés, ayant abandonné toute
spécificité "ni gauche, ni droite")
se retrouve avec 51 députés sur 100. Elle
avait rassemblé à peine plus de 47% des suffrages,
mais à droite 7% s'étaient dispersés
sur deux listes n'ayant pas atteint le quorum... La gauche
n'a pourtant pas manqué de faire comprendre à
la minorité "qui gouverne ici", sans pour
autant savoir évoluer d'une culture de l'opposition
et du témoignage vers une culture du pouvoir et de
la responsabilité. Sa méfiance s'est étendue
au gouvernement, pourtant soucieux de chercher la ligne
de moindre résistance quand il n'anticipait pas les
désirs de l'Alternative. Deuxième législature
perdue par l'effet de deux blocs dominés chacun par
les tenants de l'affrontement.
Est-ce
le caractère toujours moins pertinent du cadre étatique
cantonal, surtout lorsqu'il est aussi petit qu'à
Genève? Si les élections de 2001 témoignent
de quelque chose, c'est bien de désintérêt
en dehors du microcosme. Ce sont désormais les élections
fédérales qui, à Genève, nourrissent
les débats, suscitent des vocations, excitent les
groupes de pression. Les partis ont eu de la peine à
composer des listes, peu fournies en quantité comme
en qualité. Particulièrement à gauche,
on est frappé de la rareté des candidatures
de personnalités reconnues.
La
prochaine législature devra pourtant être celle
de la reconstruction patiente et modeste d'une culture du
compromis: celui qui permet d'évoluer en associant
le plus grand nombre à la décision. L'entrée
de l'UDC au Grand Conseil paraît inéluctable
après ses 7,3% à l'élection du Conseil
national et compte tenu du boulevard que lui ouvre le climat
"tous pourris" attisé par la gauche, l'inaction
du Conseil d'Etat et la curée médiatique.
Elle n'en est pas moins, à Genève, un corps
étranger dont la gauche a la responsabilité
qu'il ne s'assimile pas dans les rangs de l'Entente. Face
à des députés enfin obligés
de s'écouter et de composer, le gouvernement (auquel
l'UDC n'a aucune chance d'accéder si tant est qu'elle
le veuille) peut retrouver la légitimité et
l'autorité d'engager des réformes nécessaires.
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