Christian
Grobet n'a seulement changé la physionomie politique
du canton. En 12 ans de pouvoir personnel comme conseiller
d'Etat chargé du département des travaux publics,
il a aussi transformé la manière d'être
des membres du gouvernement. Ce sont désormais les
véritables patrons de leurs départements,
transformés en autant de baronnies d'une féodalité
sans suzerain. Avec lui, la fonction de conseiller d'Etat
a connu une nouvelle évolution: de politicien de
milice dont le rôle collégial était
aussi important que le rôle de chef d'un département
(dirigé par un secrétaire général
qui était, lui, à plein temps), puis politicien
professionnel, il se comporte désormais comme le
propriétaire d'une (grosse) PME. Ce n'est plus l'agent
public qui incarne l'Etat pour les administrés, c'est
le conseiller d'Etat qui a vocation à se substituer
à chacun de "ses" fonctionnaires pour les
petites comme pour les grandes décisions. Micheline
Calmy-Rey a d'ailleurs cessé de prétendre
sauvegarder les apparences en supprimant la fonction de
secrétaire général de son département.
Mais
le temps politique n'est pas celui de la permanence de l'administration
et de la continuité de l'Etat: il est celui de l'urgence
d'agir dans un temps limité et du rythme quadriennal.
D'où le désintérêt quasiment
institutionnel du gouvernement pour des problématiques
telles que la qualité du service public ou la gestion
performante des ressources humaines (ou des ressources tout
court). La prééminence d'exigences managériales
sur des considérations techniques ou corporatistes
pour les fonctions de direction, par exemple, est encore
trop souvent ignorée; entre terrorisme syndical,
absence de structure cohérente et lâchage politique,
il n'est pas sûr que l'on trouvera encore longtemps
des personnes prêtes à assumer des responsabilités
dans l'administration. Harcelés par un Grand Conseil
lui aussi désireux de faire de la micro-gestion,
les conseillers d'Etat sont mal placés pour s'y opposer
et préserver l'autonomie de l'exécutif. A
ce jeu, tout le monde est perdant: les députés
et les conseillers d'Etat qui ne font plus de la politique,
l'administration dont la spécificité est déniée
par ceux-là même qui la conduisent, et bien
sûr la population.
Le
rapport du consultant Arthur Andersen SA sur la réforme
de l'Etat n'avait pas convaincu en prétendant donner
un rôle au collège des secrétaires généraux
dans l'idée de séparer le politique et l'administratif.
Une solution déjà préconisée
dans ces colonnes (DP 1322 du 27.11.97) irait plutôt
vers la suppression des départements comme structure
administrative, et donc des secrétaires généraux.
D'un côté, chaque conseiller d'Etat serait
responsable d'un certains nombre de domaines, comme c'est
le cas aujourd'hui; il s'entourerait d'un état-major
personnel (aujourd'hui improvisé avec les moyens
du bord dans les secrétariats généraux).
De l'autre côté, l'administration serait organisée
en services qui ne coïncideraient pas avec ces domaines
(l'emploi, par exemple, recouvre différents services
dont certains relèvent également de l'éducation,
d'autres également de la politique sociale). Et parce
que l'administration a besoin d'avoir un patron (qui en
a la charge et qui la représente), on pourrait imaginer
de donner ce rôle au chancelier d'Etat, en lui rattachant
un office du personnel, une inspection cantonale des finances
et un service de contrôle de gestion qui soient réellement
à même de jouer leur rôle, sans interférence.
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