MOZA//K

Gaychronique

Christopher Street Day Zurich 2001

 

Moritz Leuenberger ouvre la parade

En 1999, la présidente de la Confédération, Ruth Dreifuss, avait adressé un message à la Lesbian and Gay Pride réunie à Fribourg le 3 juillet, lu par son collaborateur personnel (lui-même gay).

2001 représente une première mondiale: avec Moritz Leuenberger sur l'Helvetiaplatz le 23 juin, c'est un chef d'Etat en exercice qui ouvre la parade du Christopher Street Day (Lesbian and Gay Pride, en allemand; quoi qu'il en soit, il s'agit toujours, depuis 1970, de célébrer la révolte, en juin 1969, des clients du Stonewall Inn à Christopher Street, New York, face au harcèlement policier dont ils faisaient l'objet).

Allocution de Moritz Leuenberger,
président de la Confédération

Lire le texte original en allemand

Mesdames et Mesdames,
Messieurs et Messieurs,

À l’époque, vous m’avez invité invoquant le fait que, m’étant rendu auprès d’une minorité à l’Albisgüetli, je pouvais bien venir à votre rencontre. C’est donc vous qui avez établi cette comparaison. Néanmoins, je pense qu’il n’y a pas tellement de points communs entre le Christopher Street Day et le Christopher Day à l’Albisgüetli!

Vous avez raison sur un point: pendant mon année présidentielle j’entends aller à la rencontre des minorités. C’est dans cet esprit que j’ai rencontré les représentants de l’économie à Davos, les cheminots à Berne, les humoristes à Morges et que je suis allé saluer les automobilistes à Genève. Notre pays se compose de minorités distinctes tant linguistiques, religieuses que culturelles.

En ce qui vous concerne, je me pose parfois la question: êtes-vous véritablement une minorité? Je me le demande: quel que soit l’endroit où je me rende – à une manifestation économique, au restaurant, au théâtre, au Palais fédéral, dans les magasins – je vous rencontre.

J’ai parcouru votre programme et j’ai constaté que vous êtes devenu, à l’évidence, le public chéri des annonceurs: vous avez réussi à remplir la moitié des pages de ce cahier de publicités. Quelle minorité peut réussir ce tour de force? Je me suis donc posé quelques questions: cette manifestation a-t-elle encore raison d’être? La présence du président de la Confédération est-elle bien nécessaire? N’êtes-vous pas devenus depuis longtemps une force sociale à part entière?

Puis j’ai reçu des lettres qui me mettaient en garde contre vous. Mes doutes se sont aussitôt dissipés. Ces lettres, dont je ne peux citer la plupart sans me rendre punissable au regard la loi, parlaient de «honte», évoquaient un «jeu du diable». Avant-hier, j’ai regardé le show de Harald Schmidt et écouté ses propos sur Klaus Wowereit, lesquels, même s’ils étaient inspirés de la veine satirique n’en restaient pas moins purement insultants. J’ai également lu dans la presse les difficultés que vous rencontrez en Valais. Et j’ai aussi lu que vous étiez victimes de mobbing au travail, que vous n’étiez pas promus et même que certains étaient licenciés s’ils ne cachaient pas leur homosexualité. Du reste vous avez fait des problèmes rencontrés au travail le thème du CSD cette année.

Je relève que, sous nos latitudes, la philosophie des Lumières n’a pas encore pénétré tous les esprits. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il y a donc 300 ans à peine, la philosophie des Lumières a renversé l’absolutisme. Elle a apporté à l’Europe les Droits de l’homme, la liberté d’expression, les livres, les sciences exactes, la notion de tolérance et avant tout la «lumière de la raison». L’Église et la royauté ont dû abandonner leur monopole de la vérité, ouvrant la porte à une plus grande liberté de la morale et des mœurs. C’est dans cet esprit que Frédéric II le Grand, Roi de Prusse se flattait que dans son Royaume chacun, à sa façon, pouvait vivre heureux.

Goethe – que j’aimerais citer ici sur l’Helvetiaplatz – a écrit:

“Un même parti ne convient pas à tous.
Que chacun voie comme il doit vivre;
Que chacun voie où il veut se fixer:
Et celui qui est debout, qu'il prenne garde de tomber.”

Combat pour la reconnaissance légale

Dans un État de droit, ce principe est inscrit formellement dans la constitution. Ainsi le principe «chacun à sa façon» est inscrit dans le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse en ces termes: «dans le respect de l’autre et l’équité». Il y est expressément dit que tous les êtres humains sont égaux devant la loi, ceux qui pensent autrement et vivent autrement aussi. La constitution dit clairement: «Nul ne doit subir de discrimination du fait de son mode de vie».

Aujourd’hui, l’idée que les homosexuels doivent pouvoir vivre en couple sans entraves administratives est largement admise en Suisse. Celui qui veut pourvoir aux besoins de l’autre ne doit pas en être empêché. Des aménagements sont encore nécessaires sur le plan du droit successoral, de l’autorisation de séjour pour le partenaire étranger, des assurances sociales, par exemple la caisse de pension, du droit de visite à l’hôpital ou en prison. À cet égard, le Conseil fédéral va mettre en consultation un avant-projet de loi en vue d’un message sur le partenariat enregistré.

Certaines de ces lois sont depuis longtemps en vigueur dans les pays nordiques, ce qui n’est pas le cas dans le sud du continent. Cette différence culturelle, nous la ressentons en Suisse également. La conception de la politique du Conseil fédéral n’est pas la même des deux côtés du Röstigraben, il existe des différences entre ville et campagne, entre vieux et jeunes. C’est par respect pour ces différences culturelles et politiques que nous optons pour une politique des petits pas. Je sais pertinemment que vous préféreriez de loin nous voir aller de l’avant avec plus de courage, (je fais référence au droit du mariage ou de l’adoption).

Mais la politique des petits pas est aussi la politique du respect. Respect pour les personnes aux yeux desquelles tout va trop vite et qui se sentent bousculées. C’est une politique qui n’est que trop consciente du fait que la confrontation entre vues politiques différentes a besoin de temps.

Combat pour la reconnaissance sociale

La reconnaissance légale est une chose. L’acceptation sociale en est une autre. Les femmes l’ont appris au cours de leur long combat pour la non-discrimination: l’égalité en droit ne signifie pas encore l’égalité sociale.

Goethe lui-même l’avait compris et ne s’en offusquait pas, lui qui conférait une valeur toute spécifique à la persévérance.

C’est à votre persévérance par exemple que je dois aujourd’hui de pouvoir prononcer les mots «homosexuel» ou «lesbienne» sans gêne. Dans ma jeunesse, ces mots étaient obscènes et je me suis étonné plus tard que vous ne vous soyez pas donné un nom moins lourdement connoté.

En réalité, aujourd’hui, je vous en félicite. Il est vrai que vous avez choisi la voie la plus douloureuse, mais en même temps vous avez fait bouger les choses. Vous avez pris l’injure et la honte sur vous mais vous êtes parvenus à introduire les mots « homosexuels » et «lesbiennes» dans les salons (certes ils ont été prononcés rapidement dans les salons; je veux dire que leur contenu était accepté). Vous auriez pu prendre un nom politiquement correct – à consonances latine ou grecque peut-être? Vous auriez pu changer de nom. Comme les femmes de ménage ont été rebaptisées techniciennes de surface ! Comme les gros qui ont passé de «enveloppés» à «bien en chair». Ou les personnes âgées que nous devons appeler aujourd’hui en toute innocence les «seniors».

Le politiquement correct fait naître les tabous, favorise l’aliénation et étouffe la pensée. Que le travailleur étranger à l’origine (Fremdarbeiter) soit devenu un travailleur «invité» (Gastarbeiter) n’a en rien amélioré sa condition. En revanche il a apaisé la conscience de bon nombre de Suissesses et de Suisses.

La valse des étiquettes ne fait pas avancer la pensée. Bien au contraire. Elle camoufle le problème et empêche de le résoudre.

Vous, Mesdames et Messieurs, avez voulu faire bouger les choses. Vous voulez changer les mentalités. Le chemin est long et vous devez être endurants. Vous vous êtes mis en chemin depuis longtemps mais la route sera encore longue.

Que chacun puisse vivre heureux à sa façon va de soi. Pourtant il a fallu attendre plus de 1700 ans après J.-C. pour qu’un homme politique accepte ce droit fondamental. Aujourd’hui, deux siècles et demi plus tard, nous avons, il est vrai, fait du chemin. Cela ne va pas encore de soi, mais il faut persévérer.

C’est votre droit le plus strict.

 

 


Merci de me signaler les fôtes et les liens rompus!
Dernière mise à jour: 10.01.2002

François Brutsch - Genève - Suisse