L'esprit
de Munich rôde sur la France. Le "non à
la guerre en Irak!" est assené avec une telle
démagogie par les élites, les médias
et les intellectuels de cour qui jouent sur le "nationalisme
des pauvres" (Brecht) et les "évidences"
du cur, sur l' "intérêt"
de la France et sa puissance, qu'émettre des doutes
vous fait désigner traître à votre
patrie pour ne l'être pas à sa grandeur.
Or,
des doutes même, malgré les foules de Paris
et d'Alger, je n'en ai pas. Pas plus que n'en avaient
ceux qui surent dire "non" avec de Gaulle aux
forces brunes, puis au communisme lors de l'affaire de
Berlin ou de Cuba, ou avec François Mitterrand
lors de l'affaire des euromissiles. La guerre est juste.
Juste et nécessaire. Parce que la morale, le droit
et la raison politique l'exigent.
L'exigence
morale suffirait seule à clore le débat.
Qu'il ait ou n'ait pas des armes chimiques et bactériologiques,
le régime de Saddam Hussein, qui considère
l'humanité comme un moyen et non comme une fin,
est immoral. Immoral et criminel.
Ce
n'est pas seulement une dictature, mais un totalitarisme.
Qui ne connaît le Centre de détention de
Bagdad et ses sous-sols où l'on torture et fusille?
La terreur sur la population, la répression sanguinaire
des opposants, qui, eux, n'ont pas la liberté de
manifester? La militarisation de la population? Ses crimes
contre l'Iran ou les Kurdes? Sa volonté de déstabiliser
ses voisins, de détruire Israël? Son soutien
aux terroristes ?
"La
chasse aux tyrans est déclarée ouverte":
le mot d'ordre me convient mieux que ces défilés
de pacifistes qui, hier, applaudissaient les accords de
Munich, dénonçaient "Ridgway la peste",
saluaient Fidel Castro ou la mise en place de SS 20 soviétiques
et qui prétendent aujourd'hui sauver la mise de
l'un des tyrans les plus sanguinaires du globe sous prétexte
que tout vaut mieux que la guerre.
Liberté
et dignité ne vaudraient pas la guerre? Elles n'exigeraient
pas que nous libérions un peuple dans les fers?
Quand
les pacifistes rétorquent qu'il existe d'autres
régimes honnis et voient dans ce choix irakien
la preuve de la duplicité américaine, j'ai
presque envie de sourire. Sous prétexte que plusieurs
assassins courent les rues, il ne faudrait pas exiger
que soit mis hors d'état de nuire celui dont la
police peut se saisir? On devrait lui proposer doctement
de continuer à terroriser les siens à l'unique
condition qu'il ne menace plus les habitants hors de ses
terres?
Il
est vrai que nos donneurs de leçons ne sont guère
gênés de voir la quasi-totalité des
régimes dictatoriaux (à part ceux corsetés
par les Etats-Unis) avancer masqués derrière
eux, de cette Chine qui écrase le Tibet jusqu'à
Oussama Ben Laden qui exporte sa haine, de cette Russie
qui bombarde en Tchétchénie la population
civile jusqu'au Soudan qui inflige aux femmes les plus
effrayantes lois en passant par ces dictatures africaines
francophones fâcheusement oubliées.
Le
droit dont ils se parent n'est pas plus favorable aux
pacifistes. Les Etats-Unis ont pour eux une résolution
de l'ONU (1441), votée par tous, France y compris,
qui les autorise à agir si Saddam Hussein n'apporte
pas la preuve de la destruction et de la prohibition des
armes chimiques et bactériologiques. Les Tartuffe
feignent de croire que c'est aux inspecteurs à
prouver que de telles armes n'existent plus. Se développe
ainsi, par ce détournement rhétorique de
la charge de la preuve, le jeu du chat et de la souris
dénoncé par Mohamed ElBaradei et Hans Blix.
Quand
les Etats-Unis proposent une ultime motion à l'ONU,
faudrait-il, en cas d'opposition, qu'ils laissent violer
les décisions précédentes? Que vaudrait
un droit qui varierait, telle Pénélope,
défaisant la nuit ce qu'il a fait le jour? Ou le
droit est le droit, et il doit être respecté,
ou l'ONU n'est que la couverture mitée de l'immoralité
et du désordre international, et on doit passer
outre.
C'est
bien parce qu'ils le savent que nos "demi-habiles"
(Pascal) se retranchent derrière la raison politique.
Les Etats-Unis agiraient "par intérêt",
"pour le pétrole", disent-ils.
Que
l'intérêt puisse être le mobile de
l'intervention ne suffit pas à la condamner. Il
n'est pas nécessaire, comme le faisait remarquer
Kant, qu'une conduite soit faite selon la morale pour
être juste, il suffit qu'elle s'y conforme.
D'autre
part, assurer ses conditions de survie, tout Etat le doit.
Or, le pétrole est une matière première
stratégique, à partir de laquelle un chantage
peut être fait aux républiques, chantage
déjà subi, que Saddam Hussein relance en
menaçant de brûler 1 500 puits de pétrole.
Il pourrait donc légitimer une guerre.
La
France passe à côté de son intérêt
bien compris. En ne participant pas à la coalition,
le marché irakien nous échappe. Et il reste
à prouver que les autres gouvernements de la région,
qui, à l'inverse de leurs populations, détestent
Saddam Hussein et se félicitent d'en être
bientôt débarrassés, nous soient reconnaissants
de notre pusillanimité.
Ce
n'est pas en vérité la raison, mais la passion,
qui guide nos pacifistes. Et l'odieux, qui fait s'acoquiner
extrême droite, extrême gauche et forces nationalistes
archaïques, le dispute à l'absurde.
Imaginons,
un instant, l'échec des Etats-Unis. Des rives yéménites
à certains de nos quartiers difficiles, chacun
y verrait une preuve de faiblesse qui déstabiliserait
les mouvements et gouvernements musulmans modérés.
S'il n'y a plus de gendarme international, les espoirs
des plus "fous" sont permis.
A
l'inverse, si la guerre est juste par sa fin politique
et humanitaire, elle l'est aussi par ses moyens. Du sang,
dites-vous? Nul n'a demandé aux pacifistes de "mourir
pour l'Irak". Il ne s'agit pas d'envoyer des hommes
du contingent, mais des professionnels. Et tout sera tenté
pour que les pertes en vies humaines soient les plus faibles
possible.
Envers
la population irakienne, les moyens utilisés seront
conformes à ce principe. Des morts? Certes, il
y en aura. Parce que Saddam Hussein prend sa population
en otage pour ne pas céder devant la morale et
le droit. Quant aux dommages collatéraux de cette
guerre, ils ne seront jamais pires que les crimes, certains
et illimités cette fois, que le régime irakien
perpétuerait demain en cas de non-intervention.
Vis-à-vis
du reste du monde, la guerre apparaîtra vite comme
une décision sage. N'en déplaise aux apocalyptiques,
il n'y aura pas de "résistance" d'une
population qui attend l'élimination du tyran. Et
il suffira de quelques caméras pour retourner une
opinion internationale aujourd'hui bernée.
Pourra
ainsi être réorganisée cette poudrière
régionale, confortée la sécurité
en Arabie saoudite et dans les Emirats, assurée
l'existence d'Israël et démocratisée
l'autorité palestinienne. Tandis que la guerre
commencée contre les Etats voyous en Afghanistan,
poursuivie en Irak, continuera afin d'imposer sur le globe
ce traité de paix perpétuelle qu'exige la
conscience universelle.
Le
droit sans l'épée n'est qu'un mot et la
morale sans volonté un songe creux.