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Terrorisme, guerre, mondialisation, démocratie...
Un choix de textes
pour garder les idées claires

Après le 11 sept. 01

 

Robert Redeker, professeur de philosophie au lycée Pierre-Paul-Riquet de Saint-Orens (Haute-Garonne), membre du comité de rédaction de la revue Les Temps modernes, Le Monde (26 mars 2003)
Les néopacifistes en guerre... contre la paix

Rien de plus tragique que la destinée du pacifisme. Affirmant combattre l'impérialisme, il s'est généralement rangé aux côtés du pire – fascisme, nazisme, communisme –, se retrouvant, la plupart du temps, dans le camp des ennemis les plus résolus de la liberté.

Les manifestations antiguerre qui déferlent un peu partout sur la planète ne préparent pas le pacifisme à sortir de son histoire équivoque: la rhétorique pacifiste, qui partage le monde en deux camps, l'Amérique et les peuples, ne manifeste aucune rupture par rapport aux slogans antiaméricains des années 1950, lorsque le Mouvement pour la paix recevait ses ordres de Moscou.

Pour exister, le pacifisme contemporain se voit obligé de travailler à l'occultation de ses racines et de son histoire. Toute la rhétorique déployée d'une manifestation à l'autre, insistante et dichotomique, poursuit, aujourd'hui que le communisme a rejoint les poubelles de l'histoire, un objectif secret: faire oublier un événement tout aussi important que la victoire des Américains sur le nazisme hitlérien, jamais signalé. L'événement refoulé, objet du tabou mémoriel, dura plusieurs décennies: l'Amérique a protégé l'Europe occidentale du communisme.

Le miracle américain en Europe occidentale a pris un tour particulier: avoir formé un barrage efficace, empêchant le totalitarisme rouge d'étendre son empire de camps, d'asiles psychiatriques, d'exécutions de masse et de fils de fer barbelés jusqu'à l'Atlantique, rendant possible, dans les pays ainsi protégés (France, Italie, RFA, Benelux), l'apparition d'une prospérité généralisée comme le monde n'en avait jamais connu, avec un degré de liberté individuelle historiquement inédit jusqu'alors.

Mai 1968, enfant de Coca-Cola et de Marx, n'a pu voir le jour qu'au sein de cette prospérité et liberté – qu'à l'intérieur de l'espace géographique, idéologique, commercial et historique mis à l'abri par la puissance militaire américaine. Quand on sait ce que sont devenues des nations européennes comme la Tchécoslovaquie, la RDA ou la Hongrie, sous la coupe communiste, on mesure l'ampleur du bien qui nous a été dispensé par les Américains.

La rhétorique pacifiste – peu pacifique dans la virulence agressive de ses énoncés vis-à-vis des Etats-Unis – s'offre comme une rhétorique de l'oubli de ce durable événement-là. Ce sont les bienfaits civilisationnels de l'Amérique, aussi bien que l'histoire philototalitaire du pacifisme que toutes ces manifestations actuelles tentent d'occulter.

"Guerre à l'Amérique" constitue, depuis soixante ans, le seul et unique mot d'ordre de tous les pacifismes. C'est pourtant grâce aux Etats-Unis, à la puissance de l'armée américaine, et en dépit des haines pacifistes, que nous ne sommes aujourd'hui ni "rouges" ni "morts"!

Les néopacifistes de l'heure présente s'appliquent à occulter ces bienfaits apportés par l'Amérique pour ne pas se contraindre à reconnaître une difficile double vérité: d'une part, ce ne sont pas les peuples qui se sont libérés du nazisme, c'est à l'armée américaine, "les Anglo-Américains", comme disait haineusement la propagande vichyste, que l'on doit cette libération, et, d'autre part, ce ne sont pas les peuples non plus qui ont assuré la protection de l'Europe occidentale contre le communisme, auquel ils trouvaient des charmes, c'est la politique américaine. Le syntagme "les Anglo-Américains" dans un contexte de diabolisation, comme l'occasion nous en est donnée quotidiennement sur toutes les ondes et dans l'interminable et bariolé chapelet des manifestations de rue, résonne étrangement à nos oreilles françaises.

Accoler, ainsi qu'il arriva dans une manifestation récente, à ces diatribes des attaques contre Israël ramène aux sombres années, antianglaises, antiaméricaines et antisémites de l'occupation nazie. A l'époque, cette propagande vichysto-nazie mettait en avant (aux actualités, dans les salles de cinéma) les images des bombardements "anglo-américains" afin d'accuser leurs auteurs de barbarie et d'inhumanité.

Le pacifisme actuel, au vocabulaire si ambigu, loin de s'élever au-dessus des deux camps, à hauteur de l'idée philosophique de la paix, se révèle, quand on examine les slogans qu'il tonitrue, tout le contraire d'un pacifisme : il s'exprime par un discours bicampiste (il n'existe que deux camps : l'Amérique et les peuples), dichotomique et partisan, sans nuances, exclusivement tourné contre les Américains (auxquels on adjoint parfois les Israéliens), violemment agressif. Ce néopacifisme planétaire est, par sa violence et son hostilité à l'égard de l'Amérique, un autre discours de la guerre. Il appelle à la mobilisation, au combat, à des formes de guerre.

Si Bush n'a pas eu forcément raison, par le biais d'une propagande vouée à l'échec, de stigmatiser à l'excès l'Irak – transformant l'immémoriale Bagdad en ennemie du genre humain dans son ensemble –, les néopacifistes transmuent l'Amérique en bouc émissaire de tous les peuples.

La dette non reconnue envers la puissance dominatrice s'articule au ressentiment massif contre le plus fort et le plus riche. Définissant la dépolitisation, le refus ressentimental de la puissance engendre l'irresponsabilité historique: refuser la puissance, en particulier celle d'un empire non totalitaire porteur des valeurs démocratiques comme les Etats-Unis, revient à militer en faveur de la loi planétaire de la jungle, du partage de la planète entre chefs de guerre et ethnocrates, à favoriser le néoféodalisme des conflits interminables, la guerre civile infinie. Le combat des néopacifistes est, sans qu'ils s'en rendent compte, un combat contre la paix dans la mesure où il demeure animé par le ressentiment contre la puissance.

Les pacifistes échouent à comprendre qu'il convient de se méfier des peuples. Ils voient dans le nombre la raison. La croyance est que le peuple est le vrai bien, la parole populaire l'énonciation de ce bien. Or, généralement, les peuples ne veulent pas le bien: ils veulent pouvoir être aliénés (à la consommation, aux religions, aux traditions, aux particularismes bornés) en paix. Ils veulent une servitude volontaire pacifique à des symboles.

Les Iraniens en lutte contre le chah – lutte soutenue par les intellectuels occidentaux, dont Michel Foucault, sous prétexte de l'inféodation du chah aux Etats-Unis –, loin de lutter pour leur liberté, luttaient pour une servitude plus grande encore, plus exaltante à leurs yeux, l'aliénation religieuse absolue du gouvernement des ayatollahs et des mollahs.

Les peuples vivent la politique – et, dans le cas des Etats-Unis, la politique s'identifie à la puissance – comme l'obstacle à leur aliénation tant désirée.

Dans l'identification du vrai et du bien aux peuples, au mouvement de l'histoire, s'originent toutes les erreurs systématiques des pacifistes, et leurs choix en faveur des totalitarismes – dont les idéologies se veulent toujours populaires – plutôt que des Etats-Unis, dont le système de valeurs individualiste et démocratique déplaît dans l'exacte mesure où il est assimilé à la puissance.

 

 


Merci de me signaler les fôtes et les liens rompus!
Dernière mise à jour: 09.04.2003

François Brutsch - Genève (Suisse) & London (UK)