Rien 
                      de plus tragique que la destinée du pacifisme. Affirmant 
                      combattre l'impérialisme, il s'est généralement 
                      rangé aux côtés du pire  fascisme, 
                      nazisme, communisme , se retrouvant, la plupart du 
                      temps, dans le camp des ennemis les plus résolus 
                      de la liberté.  
                      Les 
                        manifestations antiguerre qui déferlent un peu 
                        partout sur la planète ne préparent pas 
                        le pacifisme à sortir de son histoire équivoque: 
                        la rhétorique pacifiste, qui partage le monde en 
                        deux camps, l'Amérique et les peuples, ne manifeste 
                        aucune rupture par rapport aux slogans antiaméricains 
                        des années 1950, lorsque le Mouvement pour la paix 
                        recevait ses ordres de Moscou.
                      Pour 
                        exister, le pacifisme contemporain se voit obligé 
                        de travailler à l'occultation de ses racines et 
                        de son histoire. Toute la rhétorique déployée 
                        d'une manifestation à l'autre, insistante et dichotomique, 
                        poursuit, aujourd'hui que le communisme a rejoint les 
                        poubelles de l'histoire, un objectif secret: faire oublier 
                        un événement tout aussi important que la 
                        victoire des Américains sur le nazisme hitlérien, 
                        jamais signalé. L'événement refoulé, 
                        objet du tabou mémoriel, dura plusieurs décennies: 
                        l'Amérique a protégé l'Europe occidentale 
                        du communisme.
                      Le 
                        miracle américain en Europe occidentale a pris 
                        un tour particulier: avoir formé un barrage efficace, 
                        empêchant le totalitarisme rouge d'étendre 
                        son empire de camps, d'asiles psychiatriques, d'exécutions 
                        de masse et de fils de fer barbelés jusqu'à 
                        l'Atlantique, rendant possible, dans les pays ainsi protégés 
                        (France, Italie, RFA, Benelux), l'apparition d'une prospérité 
                        généralisée comme le monde n'en avait 
                        jamais connu, avec un degré de liberté individuelle 
                        historiquement inédit jusqu'alors.
                      Mai 
                        1968, enfant de Coca-Cola et de Marx, n'a pu voir le jour 
                        qu'au sein de cette prospérité et liberté 
                         qu'à l'intérieur de l'espace géographique, 
                        idéologique, commercial et historique mis à 
                        l'abri par la puissance militaire américaine. Quand 
                        on sait ce que sont devenues des nations européennes 
                        comme la Tchécoslovaquie, la RDA ou la Hongrie, 
                        sous la coupe communiste, on mesure l'ampleur du bien 
                        qui nous a été dispensé par les Américains.
                      La 
                        rhétorique pacifiste  peu pacifique dans 
                        la virulence agressive de ses énoncés vis-à-vis 
                        des Etats-Unis  s'offre comme une rhétorique 
                        de l'oubli de ce durable événement-là. 
                        Ce sont les bienfaits civilisationnels de l'Amérique, 
                        aussi bien que l'histoire philototalitaire du pacifisme 
                        que toutes ces manifestations actuelles tentent d'occulter.
                      "Guerre 
                        à l'Amérique" constitue, depuis soixante 
                        ans, le seul et unique mot d'ordre de tous les pacifismes. 
                        C'est pourtant grâce aux Etats-Unis, à la 
                        puissance de l'armée américaine, et en dépit 
                        des haines pacifistes, que nous ne sommes aujourd'hui 
                        ni "rouges" ni "morts"!
                      Les 
                        néopacifistes de l'heure présente s'appliquent 
                        à occulter ces bienfaits apportés par l'Amérique 
                        pour ne pas se contraindre à reconnaître 
                        une difficile double vérité: d'une part, 
                        ce ne sont pas les peuples qui se sont libérés 
                        du nazisme, c'est à l'armée américaine, 
                        "les Anglo-Américains", comme disait 
                        haineusement la propagande vichyste, que l'on doit cette 
                        libération, et, d'autre part, ce ne sont pas les 
                        peuples non plus qui ont assuré la protection de 
                        l'Europe occidentale contre le communisme, auquel ils 
                        trouvaient des charmes, c'est la politique américaine. 
                        Le syntagme "les Anglo-Américains" dans 
                        un contexte de diabolisation, comme l'occasion nous en 
                        est donnée quotidiennement sur toutes les ondes 
                        et dans l'interminable et bariolé chapelet des 
                        manifestations de rue, résonne étrangement 
                        à nos oreilles françaises. 
                      Accoler, 
                        ainsi qu'il arriva dans une manifestation récente, 
                        à ces diatribes des attaques contre Israël 
                        ramène aux sombres années, antianglaises, 
                        antiaméricaines et antisémites de l'occupation 
                        nazie. A l'époque, cette propagande vichysto-nazie 
                        mettait en avant (aux actualités, dans les salles 
                        de cinéma) les images des bombardements "anglo-américains" 
                        afin d'accuser leurs auteurs de barbarie et d'inhumanité.
                      Le 
                        pacifisme actuel, au vocabulaire si ambigu, loin de s'élever 
                        au-dessus des deux camps, à hauteur de l'idée 
                        philosophique de la paix, se révèle, quand 
                        on examine les slogans qu'il tonitrue, tout le contraire 
                        d'un pacifisme : il s'exprime par un discours bicampiste 
                        (il n'existe que deux camps : l'Amérique et les 
                        peuples), dichotomique et partisan, sans nuances, exclusivement 
                        tourné contre les Américains (auxquels on 
                        adjoint parfois les Israéliens), violemment agressif. 
                        Ce néopacifisme planétaire est, par sa violence 
                        et son hostilité à l'égard de l'Amérique, 
                        un autre discours de la guerre. Il appelle à la 
                        mobilisation, au combat, à des formes de guerre.
                      Si 
                        Bush n'a pas eu forcément raison, par le biais 
                        d'une propagande vouée à l'échec, 
                        de stigmatiser à l'excès l'Irak  transformant 
                        l'immémoriale Bagdad en ennemie du genre humain 
                        dans son ensemble , les néopacifistes transmuent 
                        l'Amérique en bouc émissaire de tous les 
                        peuples.
                      La 
                        dette non reconnue envers la puissance dominatrice s'articule 
                        au ressentiment massif contre le plus fort et le plus 
                        riche. Définissant la dépolitisation, le 
                        refus ressentimental de la puissance engendre l'irresponsabilité 
                        historique: refuser la puissance, en particulier celle 
                        d'un empire non totalitaire porteur des valeurs démocratiques 
                        comme les Etats-Unis, revient à militer en faveur 
                        de la loi planétaire de la jungle, du partage de 
                        la planète entre chefs de guerre et ethnocrates, 
                        à favoriser le néoféodalisme des 
                        conflits interminables, la guerre civile infinie. Le combat 
                        des néopacifistes est, sans qu'ils s'en rendent 
                        compte, un combat contre la paix dans la mesure où 
                        il demeure animé par le ressentiment contre la 
                        puissance.
                      Les 
                        pacifistes échouent à comprendre qu'il convient 
                        de se méfier des peuples. Ils voient dans le nombre 
                        la raison. La croyance est que le peuple est le vrai bien, 
                        la parole populaire l'énonciation de ce bien. Or, 
                        généralement, les peuples ne veulent pas 
                        le bien: ils veulent pouvoir être aliénés 
                        (à la consommation, aux religions, aux traditions, 
                        aux particularismes bornés) en paix. Ils veulent 
                        une servitude volontaire pacifique à des symboles.
                      Les 
                        Iraniens en lutte contre le chah  lutte soutenue 
                        par les intellectuels occidentaux, dont Michel Foucault, 
                        sous prétexte de l'inféodation du chah aux 
                        Etats-Unis , loin de lutter pour leur liberté, 
                        luttaient pour une servitude plus grande encore, plus 
                        exaltante à leurs yeux, l'aliénation religieuse 
                        absolue du gouvernement des ayatollahs et des mollahs.
                      Les 
                        peuples vivent la politique  et, dans le cas des 
                        Etats-Unis, la politique s'identifie à la puissance 
                         comme l'obstacle à leur aliénation 
                        tant désirée.
                      Dans 
                        l'identification du vrai et du bien aux peuples, au mouvement 
                        de l'histoire, s'originent toutes les erreurs systématiques 
                        des pacifistes, et leurs choix en faveur des totalitarismes 
                         dont les idéologies se veulent toujours 
                        populaires  plutôt que des Etats-Unis, dont 
                        le système de valeurs individualiste et démocratique 
                        déplaît dans l'exacte mesure où il 
                        est assimilé à la puissance.