Deux
mois. Il n'aura fallu que deux mois et deux jours pour
gagner une guerre que tant d'autorités disaient
perdue. Combien de fois n'aura-t-on pas entendu, depuis
le 11 septembre, que le ressentiment anti-américain
assurait de telles sympathies au djihadisme que les talibans
vaincraient l'Amérique comme les Afghans avaient
vaincu l'URSS?
Combien
d'experts n'avaient-ils pas expliqué que les montagnes
afghanes étaient imprenables, que les Britanniques
s'y étaient cassé les dents avant les Russes,
que les Etats-Unis s'y embourberaient à leur tour?
Tout l'assurait, disait-on, l'Histoire, l'anti-américanisme,
les torts occidentaux, mais pour annoncer l'avenir, le
passé ne suffit pas. Il faut, aussi, comprendre
le présent.
C'est
leur indépendance que les Afghans avaient défendue
contre les Britanniques et les Soviétiques. C'est
à des peuples unis par une cause commune que ces
empires s'étaient heurtés tandis que, dans
cette guerre-là, les talibans avaient depuis longtemps
perdu tout soutien populaire, rendus odieux par leur obscurantisme,
justement perçus comme les instruments de la puissance
pakistanaise et d'une internationale étrangère,
fanatique et dominatrice.
Kaboul
n'est pas tombée. Elle a été libérée.
L'Afghanistan a été libéré
par des Afghans que les bombes américaines n'ont
fait qu'aider. On peut trouver cent raisons à l'anti-américanisme,
toutes fondées, mais, dans cette bataille-là,
l'Amérique incarnait la liberté, la plus
universelle des valeurs, celle qui se rit des frontières,
des différences et des cultures.
C'est
la deuxième leçon de cette victoire. Depuis
le 11 septembre, l'abjecte et éternelle antienne
sur les peuples que la servitude ne blesse pas s'entonnait
à nouveau. Comme aux temps coloniaux, comme à
ceux de la Révolution culturelle, comme toujours,
le bon vieux racisme murmurait que «ces gens-là»
n'étaient pas comme nous, qu'il ne fallait pas
vouloir leur exporter nos valeurs, mais les talibans n'avaient
pas fui depuis deux heures que la liberté transcendait
les antagonismes ethniques, que Kaboul la pachtoune accueillait
des Tadjiks en libérateurs, que la musique envahissait
les rues, que barbes et voiles tombaient, que les foules
se portaient aux prisons pour en ouvrir les portes.
L'universalisme
existe.
L'homme
est un. C'est la troisième leçon à
tirer d'une crise qui a tant malmené la Raison.
Sur le charnier de Manhattan, les apôtres du «choc
des civilisations» reprenaient vigueur. «Vous
voyez bien...» disaient-ils, mais qu'a-t-on vu?
Malgré la violence du déchirement israélo-palestinien,
malgré la corruption de régimes créés
ou soutenus par les Occidentaux, malgré la misère
des masses musulmanes, malgré la richesse, en un
mot, de ce terreau islamiste, on a vu que non seulement
l'islam ne se réduisait pas à ses djihadistes
mais que l'islam arabe n'est pas l'islam turco-perse qui
n'est pas l'islam asiatique. Il reste à reconstruire
un pays. Ce n'est pas joué, mais il est temps d'essuyer
nos cadrans.