Pas
de sang pour du pétrole: un peu partout dans le monde,
dans nombre de cités européennes notamment,
des cortèges bigarrés clament à nouveau
leur opposition à une action militaire dans le Golfe.
Les slogans étaient les mêmes douze ans plus
tôt, mais les manifestants défendaient alors
l'idée d'un embargo économique pour faire
plier Saddam Hussein. Aujourd'hui, ils se contentent simplement
de revendiquer le silence des armes. Après s'être
opposés à l'usage de la force pour libérer
le Koweït en 1991, imposer la paix en Bosnie en 1995,
stopper le nettoyage ethnique au Kosovo en 1999 ou libérer
l'Afghanistan des talibans en 2001, les pacifistes conservent
donc leur propension chronique à défendre
les tyrans opposés à l'Occident.
Leurs
arguments immuables expliquent ce soutien collatéral
au totalitarisme, puisque selon eux la violence n'est
jamais une solution et ne peut mener qu'à l'extension
du conflit. A ce sujet, il serait intéressant d'entendre
l'avis de ces foules en liesse qui, de Koweït City
à Kaboul, ont célébré l'action
militaire responsable de leur libération. Mais
c'est surtout la chute brutale de la mortalité
suite aux opérations alliées récentes
qui montre à quel point les pacifistes n'ont que
faire de la réalité. En Afghanistan, l'effondrement
des talibans a par exemple permis la reprise de soins
élémentaires, comme cette campagne de vaccination
contre la rougeole de l'Unicef qui à elle seule
sauvera 35 000 enfants par année.
Au
contraire, le refus de la violence armée conformément
aux mantras du pacifisme a autorisé les pires massacres
de la dernière décennie. En Bosnie, l'inaptitude
de la Forpronu à toute coercition a laissé
se développer une guerre qui a fait 200 000 victimes.
Au Rwanda, la crainte frileuse de la communauté
internationale l'a amenée à tolérer
un génocide interethnique qui a provoqué
la mort de 800 000 personnes. Dans l'ex-Zaïre devenu
Congo, enfin, le désintérêt pour toute
intervention n'est aucunement troublé par un conflit
dont le prix atteint les 3 millions de morts. Mais nul
ne défile dans nos rues en criant «pas de
sang pour des diamants».
Face
à cette réalité dérangeante,
les pacifistes se contentent de vanter sans cesse la prévention
des conflits. Ainsi, dans ce vaste hôpital ouvert
au monde qu'est devenu l'Occident, nos gens de paix refusent
le risque de l'opération ambulatoire et se bornent
à prescrire de futures campagnes de vaccination.
Pire, ils considèrent ouvertement ceux qui manipulent
les armes chirurgicales comme autant de tueurs en puissance
sans même se soucier de l'état des
patients. Le diagnostic dès lors s'impose: le pacifisme
n'est autre qu'une idéologie étrangère
à la morale, dont le livre noir attend encore d'être
écrit.
La
raréfaction des conflits entre Etats et la prolifération
des guerres intérieures mettent d'ailleurs l'idée
pacifiste à l'agonie. Seule la coercition armée
et la maîtrise de la violence pratiquées
par les militaires occidentaux ont permis ces dix dernières
années de faire cesser ou avorter au moins huit
guerres civiles, et de sauver ainsi des centaines de milliers
de vies. Sur une planète où près
de soixante conflits majeurs font rage annuellement, ce
bilan reste insuffisant, mais s'opposer par principe à
ces actions relève d'un réflexe antimilitaire
qui fait abstraction des populations menacées.
En
fait, les pacifistes ont trop de préjugés
pour saisir les ressorts véritables des conflits,
et donc la manière de les influencer. Ils ignorent
ainsi la logique paradoxale de la stratégie et
confondent les attitudes et les intérêts,
c'est-à-dire les symptômes et les maux, en
croyant que la paix passe par l'absence de violence alors
que seul le règlement des intérêts
divergents la rend possible. De même, leur négation
de toute adversité se conjugue à la conviction
que les mesures de protection provoquent spontanément
leur opposition. Un peu comme si les serrures d'un logement
suscitaient son cambriolage.
Un
tel degré d'aveuglement est le produit d'une véritable
culture de l'irresponsabilité. En niant la nature
instable et contradictoire de l'être humain, les
pacifistes contestent le rôle des rapports de forces
dans les équilibres sociaux et s'évitent
le fardeau que constitue leur contrôle. La dissuasion,
la protection et la légitime défense sont
des concepts étrangers à leur idéal
purement rationnel, où le hasard et l'antagonisme
n'ont aucune place. Pour eux, la paix n'est pas un état
précaire exigeant une attention permanente, mais
une ataraxie collective où toute trace d'agressivité
ou de désaccord a disparu. Autant
dire un paradis carcéral fondé sur l'inappétence
et le phototropisme!
C'est
une réalité qu'il faut avoir à l'esprit
lorsque l'on observe ces manifestants qui revendiquent
la paix sans pouvoir en montrer le chemin. Ils refusent
que le sang coule pour du pétrole, mais ils en
font de même pour la liberté d'autrui. Ils
se prétendent opposés à toute forme
de violence, mais s'opposent aussi à la protection
de ceux qui en sont victimes. Ils crient au respect et
à l'égalité entre les peuples, mais
réprouvent avant tout les opérations ciblées
des nations occidentales. Et les illusions de leur idéalisme
seraient bénignes si le prix de l'inaction n'était
pas aussi exorbitant.