Face
à la crise irakienne actuelle, nous avons plusieurs
défis à relever. Tout d'abord, c'est un test
capital pour les Nations unies. Jusqu'à présent,
Saddam Hussein a pu rester confortablement assis et regarder
l'ONU s'emmêler les pieds, ne sachant que faire de
la menace qu'il représente. Depuis dix ans, il renie
en toute impunité les engagements qu'il avait pris
en signant la fin de la guerre du Golfe - notamment l'élimination
de toutes les armes de destruction massive de l'Irak.
Une
question essentielle se pose donc à l'ONU: si l'Organisation
ne veut pas - ou ne peut pas - imposer la mise en ouvre
de ses décisions sur cette question, quel espoir
y a-t-il pour son efficacité à l'avenir,
en cas de circonstances similaires? L'ONU est censée
être au coeur du nouvel ordre international de l'après-guerre
froide auquel nous, représentants de la gauche
de progrès, aspirons. Pourtant, elle semble encore
loin d'une telle transformation.
Mais
la crise irakienne est aussi un défi pour l'alliance
transatlantique. Il faut bien comprendre la tension accrue
dans les relations entre l'Amérique et l'Europe:
nombre d'Européens s'inquiètent tout autant
de l'attitude de la superpuissance que des menaces auxquelles
elle répond, pour sa sécurité comme
pour la nôtre. Néanmoins, les discours de
certaines personnalités européennes laissent
parfois penser qu'elles préféreraient voir
les Etats-Unis obligés de se replier plutôt
que d'assister à une défaite de Saddam Hussein.
Il s'agit là d'une grave confusion des valeurs,
qui représente une profonde division dans l'opinion
quant à l'évaluation de la menace que font
peser les armes chimiques et biologiques de Saddam et
le développement de ses capacités nucléaires.
Depuis
un an, la perception de cette crise s'est à l'évidence
teintée de négatif. Après les attaques
contre l'Amérique du 11 septembre 2001, la solidarité
transatlantique s'était ravivée, et chacun
parlait de la guerre de la communauté internationale
contre le terrorisme. Aujourd'hui, la guerre semble être
uniquement aux mains des Américains. Il y a un
an, chacun se contentait apparemment de suivre la direction
prise par les Américains. Aujourd'hui, cette même
gestion est considérée comme un désir
d'hégémonie.
Les
carences de la diplomatie internationale de l'Amérique
et les difficultés de ses dirigeants à s'adresser
au monde dans le langage internationalement codifié
y ont contribué. Mais il s'agit d'un véritable
paradoxe: si la majeure partie du public est aujourd'hui
bien plus informée des menaces diverses qui nous
guettent - le terrorisme international et les armes de
destruction massive, qui sont liés, et l'enthousiasme
de certains groupes ou cellules à attaquer des
civils occidentaux innocents -, de plus en plus d'Européens
sont réticents à l'idée de s'engager
dans une action sérieuse destinée à
combattre ces menaces. Et notamment - mais pas uniquement
- à gauche. Bien que les Européens aient
tout autant intérêt à combattre le
terrorisme que les Etats-Unis, l'attitude de l'Europe
démontre un grave manque de confiance en soi et
la présence de doutes quant aux mesures de sécurité
à prendre.
Et
c'est bien là que se trouve le troisième
défi, auquel devra répondre la gauche de
progrès. Quelle réaction avoir face à
cette priorité politique au niveau international?
Oublions un instant les arguments (ou préjugés)
des partisans du simple antiaméricanisme. Nul doute:
si l'Amérique était l'amie de Saddam, les
mêmes critiques de gauche seraient les premiers
à condamner l'Amérique et à exiger
la chute de Saddam en tant que grave contrevenant au respect
des droits humains dans son pays.
Il
existe des arguments plus légitimes pour questionner
les motivations de l'Amérique. Par exemple, le
fait que la guerre contre la terreur islamiste ne puisse
être gagnée par la force seule: il est nécessaire
de mettre en place toute une série d'instruments
pour combattre ce réel danger: politiques, diplomatiques
et économiques, à court et à long
terme.
Je
suis de ceux qui pensent qu'il faut convaincre ceux qui
tolèrent, voire soutiennent, des groupes de terreur
islamiste du bien-fondé global de l'attitude de
l'Occident, et pas seulement de ses buts.
Cependant,
adopter des mesures destinées à apporter
plus de justice et à mieux distribuer les fruits
de l'économie mondialisée signifie prendre
une direction unique, au niveau international, pour toutes
ces questions. Il faut donc activement rechercher le soutien
de l'Amérique à ce projet. Mais dans quelle
mesure apportera-t-elle son soutien à la solution
de problèmes internationaux urgents - règlement
du conflit au Proche-Orient, combat contre la pauvreté
en Afrique ou protection de l'environnement mondial -
si l'on ne lui prouve pas avec clarté que la solution
aux crises dans le monde passe par des actions multilatérales,
et non pas unilatérales?
Ainsi
de l'Irak et des Nations unies: si le Conseil de sécurité
ne fait preuve ni d'unité ni de volonté
pour désarmer Saddam, s'il choisit de ne pas concrétiser
les résolutions de l'ONU en la matière,
pourquoi l'Amérique emprunterait-elle le chemin
du multilatéralisme à l'avenir?
Je
suis de ceux qui pensent qu'il faut faire face à
l'unilatéralisme de l'Amérique. Mais la
meilleure façon de le vaincre, c'est sans aucun
doute de prouver que le multilatéralisme fonctionne.
Là se trouve le défi pour la gauche de progrès.
Allons-nous
laisser ces doutes, qui sont pour certains du dégoût,
face à l'Amérique prendre le dessus sur
notre souhait de voir l'Irak désarmé? Ou
allons-nous faire fonctionner la machine de l'ONU - seule
façon d'éviter la guerre en Irak et de persuader
Saddam de choisir le désarmement - et rendre possibles
des recours ultérieurs à la voie internationale
? Les semaines, les mois à venir nous le diront.
Traduit
de l'anglais par Emmanuelle Rivière.