Les
manifestations contre la guerre dérapent. Du moins
en est-il ainsi à Zurich. Samedi, une centaine
de personnes, de fraîche jeunesse en majorité,
se promènent dans les rues marchandes, brandissant
naturellement l'incontournable rainbow flag, quelques
drapeaux irakiens, mais surtout, et pour la première
fois, l'effigie de Saddam Hussein! Je m'étais habitué
aux foulards palestiniens, en oubliant qu'ils soutiennent
surtout un gouvernement de brigands; j'aimais bien le
portrait du Che, mignon et intelligent; mais j'ai beaucoup
de peine à voir des gamines de 15 ans porter celui
du dictateur de Bagdad.
En
réagissant avec passion contre l'Amérique,
en brandissant tout et n'importe quoi dans la rue, les
15-35 ans deviennent les acteurs bénévoles
d'une farce tragique dont ils ne saisissent pas les enjeux.
Que reste-t-il comme possibilités de réflexion
à cette génération, la mienne, bercée
d'espoirs dans son enfance par la chute du "socialisme
réel", par l'illusion de la fin de la menace
thermonucléaire, par la construction de l'Europe
et par la formidable envolée de la richesse de
l'Occident? Elle refuse de faire face à une nouvelle
menace, le fanatisme religieux; dont elle découvre,
après un réveil brutal, l'ampleur de la
violence et l'importance de son réseau d'infiltration
dans nos démocraties. Comment réagit cette
jeunesse devant les discours clairement belliqueux de
ces mêmes fanatiques, devant les injures proférées
directement contre un système de valeurs qu'elle
croyait universel - la tolérance, l'égalité
et la liberté - mais dont elle découvre,
finalement, qu'il ne peut concerner qu'une minorité
des peuples du globe?
Devrait-elle
s'attarder à reconsidérer l'ethnocentrisme
qui consiste à croire que les droits de l'Homme,
dans leur état, s'adaptent à toutes les
civilisations? Doit-elle prendre du temps pour concevoir
des relations différentes avec ceux qui utilisent,
en l'attisant, la haine contre l'Occident comme un moyen
de conserver leurs régimes féodaux? Devrait-elle
s'échiner à se trouver de nouvelles raisons
d'être, une nouvelle place sur cette Terre, un but?
Non! Tout est seulement question de guerre ou de paix,
c'est-à-dire de moyens, et la paix, pour les 15-35
ans, c'est le statu quo. Ma génération oublie
que ce statu quo est déjà fait de combats,
de violence et de dictatures.
Ainsi,
afin d'éviter toute réflexion sur son avenir
et celui du monde, elle se cache derrière l'étendard
multicolore du tout-le-monde-il-est-beau / tout-le-monde-il-est-gentil,
le rainbow flag, récupéré du communautarisme
gay américain, auquel elle ajoute un gros "peace"
pour, tout de même, ne pas passer pour une folle.